Accueil A la une Slim Saadallah, Président de l’Organisation de Défense du Consommateur (ODC), à La Presse : «Le boycott est une arme efficace impactant les prix»

Slim Saadallah, Président de l’Organisation de Défense du Consommateur (ODC), à La Presse : «Le boycott est une arme efficace impactant les prix»

Le contrôle d’une grande partie du marché par le commerce parallèle, qui n’a cessé de déployer ses tentacules et qui oppose une concurrence féroce et déloyale aux circuits officiels de commercialisation et de distribution, n’a fait qu’accentuer la spirale de la spéculation et serait en grande partie, aujourd’hui, responsable de la hausse des prix des produits de consommation qui poursuivent leur envolée vertigineuse malgré les opérations de contrôle économique. Aujourd’hui, c’est le prix d’une autre denrée, les grains de pin d’Alep, qui suscite un grand débat. Le prix du zgougou poursuit, en effet, son ascension vertigineuse malgré les appels incessants au boycott de l’ODC. Slim Saadallah, président de l’Organisation de défense du consommateur, revient sur son combat contre la spéculation sur les produits de base et aborde le problème de la cherté de la vie et de la dégradation du pouvoir d’achat, ainsi que de l’envolée des prix. Entretien

Pensez-vous que l’initiative du gouvernement d’augmenter les salaires au lieu de geler les prix a permis d’améliorer le pouvoir d’achat du citoyen qui n’a cessé de dégringoler ces dernières années ?

Cela fait plus de quatre ans que l’ODC  ne cesse de ressasser et de relayer  publiquement ce que les citoyens veulent faire entendre au gouvernement, à savoir qu’il faudrait envisager le gel des prix des produits de consommation, plutôt que l’augmentation des salaires qui n’a eu finalement aucun impact réel sur le pouvoir d’achat du citoyen. Selon une étude, qui a été réalisée par l’ODC, un fonctionnaire qui voit son salaire augmenter de cinquante dinars va dépenser davantage, en déboursant 75 dinars à la fin du mois. Prenons comme exemple une entreprise agroalimentaire de fabrication de biscuits qui emploie une cinquantaine d’employés. L’augmentation de la masse salariale va occasionner des frais supplémentaires s’élevant chaque mois à 2.500 dinars. Pour compenser cette augmentation qui pèse sur le chiffre d’affaires de la société, le chef d’entreprise va alors augmenter le prix du paquet de biscuits. C’est juste un exemple parmi d’autres. Donc, une augmentation salariale ou une augmentation du prix des hydrocarbures va automatiquement entraîner une hausse du prix des produits de consommation. Au lieu d’améliorer le pouvoir d’achat, cette mesure contribue plutôt à générer un cercle vicieux, en accentuant l’inflation et, par la même, la dégradation du pouvoir d’achat.

La pandémie de la Covid-19 a eu des répercussions considérables sur le pouvoir d’achat des ménages  qui s’est étiolé. Pourtant, bien que l’offre soit supérieure aujourd’hui à la demande, la hausse de la plupart des produits de consommation poursuit son envolée vertigineuse sans qu’on puisse la freiner; pourquoi selon vous ?

C’est le commerce informel qui est en partie responsable de la hausse des prix des produits de consommation. Il a son propre capital, ses propres mécanismes, et accapare une grande partie du marché et est responsable de la spéculation qui touche la plupart des produits de base. Les commerçants, qui opèrent sur les circuits informels écoulent des produits non taxés et moins chers, font de la concurrence aux produits fabriqués et commercialisés par des entreprises tunisiennes qui payent leurs taxes et ont des charges. Ces entreprises, qui ont du mal à faire face à cette concurrence sauvage et déloyale, vont alors compenser les pertes occasionnées par le manque à gagner en augmentant le prix de leurs produits. C’est ce qui explique, entre autres, la hausse constante des prix  des produits de consommation.

Pourquoi les opérations de contrôle économique sont-elles inefficaces ?

400.000 commerçants répartis sur tout le territoire, entre grossistes,  commerces de détail,  restaurateurs,  cafés… sont ciblés par les opérations de contrôle économique. Or, le nombre des agents économiques, qui doivent procéder à ces opérations de contrôle est insuffisant. Il s’élève à 600 agents de contrôle économique. Depuis 2013, l’ODC a appelé et réclamé que le nombre d’agents de contrôle économique soit revu à la hausse. A chaque fois qu’il y a une envolée et une hausse vertigineuse des prix ou qu’on observe des dépassements, nous tirons la sonnette d’alarme et appelons à l’augmentation du nombre des agents économiques. Il faut savoir que sur ces 600 agents de contrôle, 300 assurent des tâches administratives et les 300 autres font le terrain en relevant les infractions et en adressant des PV aux contrevenants. Or, il faut mobiliser près de 1.000 agents du contrôle économique sur le terrain pour rendre efficace leur travail. Il n’y a pas seulement le problème du nombre, mais également des moyens mis à leur disposition et qui sont insuffisants. Prenons le cas du gouvernorat de Bizerte. L’équipe des agents de contrôle économique dispose de très peu de voitures pour effectuer des inspections. J’ai proposé récemment au ministre du Commerce d’envisager de nouvelles alternatives au problème du nombre et du manque de moyens en impliquant les acteurs de la société civile, la police municipale et des agents de la sécurité nationale afin d’appuyer les efforts des agents du contrôle économique au cours des campagnes de contrôle, et ce, pour mettre un frein aux dépassements. Bien qu’en 2020, 283 mille visites de contrôle ont été effectuées et  51 mille procès-verbaux ont été dressés contre les contrevenants, il y a toujours autant d’arnaques, de dépassements. Quant aux prix, ils ne cessent d’augmenter et suivent une courbe ascendante. Il est évident que le problème réside dans l’application de la loi qui doit être plus sévère. Il ne faut surtout pas pardonner et faire en sorte que toutes les affaires liées à des infractions soient saisies et traduites en justice.

Les répercussions de la Covid-19 se sont fait durement sentir dans tous les secteurs économiques sans exception. Plusieurs milliers de personnes ont perdu leur emploi. Cette situation devrait pousser le gouvernement à geler les prix des produits de consommation. Pourtant, rien n’a été fait dans ce sens…

L’ODC l’a exigé à plusieurs reprises, d’autant plus que la loi l’autorise sur une période de six mois. Nous avons proposé le gel des prix qui doit être accompagné d’une campagne de sensibilisation pour inciter les citoyens à consommer tunisien. Imaginons un jour, et cela est faisable, qu’on se mette à consommer pendant toute une année tunisien. Supposons à titre d’exemple que 12 millions de Tunisiens achètent un bonbon tunisien à 50 millimes.  L’entreprise va réaliser des bénéfices qui vont lui permettre de créer des postes d’emploi.  Imaginez que tous les couples qui se marient passent leurs vacances  dans des destinations touristiques locales au lieu de choisir des destinations étrangères, cela va permettre de booster le tourisme local. Imaginez également que les logements individuels et collectifs soient exclusivement fabriqués à partir de matières premières «made in Tunisia».  Cela pourra avoir des répercussions considérables sur l’économie tunisienne. Mais le gouvernement n’arrive pas à imposer une telle mesure, car sa concrétisation provoquera automatiquement une levée de boucliers des entreprises économiques (Utica)…

Le prix du zgougou suit une courbe ascendante. Pourtant, les grains de pin d’Alep proviennent de la récolte de l’année précédente…

Il y a plus d’une décennie, le kilo de grains d’Alep se vendait entre cinq et six dinars le kilogramme. Aujourd’hui, son prix frôle les 45 dinars le kilo. Cette hausse pourrait s’expliquer par le fait que les grains de pin d’Alep sont entrés depuis quelques années dans l’industrie alimentaire. Le zgougou est utilisé, en effet, dans la fabrication de plusieurs produits alimentaires industriels : yaourts, pâte à base de zgougou….dans les pâtisseries, il est commercialisé sous forme de pots de crème. Trois grandes industries alimentaires détiennent le monopole de  l’utilisation du zgougou comme matière première servant à la fabrication de produits alimentaires industrialisés. Alors qu’il était consommé une fois par an à l’occasion de la célébration de l’anniversaire du Prophète, le  zgougou est entré dans notre consommation quotidienne. Il y a une forte demande sur  ce produit qui est commercialisé en dehors de la période de la récolte, qui a lieu généralement au cours du mois de décembre. C’est ce qui explique la hausse constante du prix de cette denrée qui ne cesse de soulever chaque fois un tollé au sein de la population.

Encore une fois, vous appelez au boycott lorsqu’il y a une envolée des prix de certaines denrées, comme le zgougou…

Nous avons instauré la culture du boycott depuis 2013.  Nous avons boycotté les viandes rouges. C’est la première fois que cela arrive depuis l’Indépendance. Une des plus grandes campagnes que nous avons menées est celle du boycott des bananes, dont le prix est passé de huit à trois dinars sous la pression sociale. Nous avons aussi lancé une opération de boycott des grains de pin d’Alep lorsque leur prix a augmenté. Je pense que le boycott est une arme efficace qui donne de bons résultats et qui permet d’avoir un impact sur les prix. Prenons le cas du zgougou, j’encourage les citoyens à le boycotter et à remplacer la crème à base de zgougou par l’assida traditionnelle à base de farine ou de semoule

Le gouvernement a décidé de lever progressivement la subvention sur certains produits  de base, tout en veillant à ce que les catégories défavorisées ne soient pas affectées par cette mesure

Finalement, tout le monde profite des produits subventionnés. Je pense toutefois qu’il ne faut pas toucher à ces subventions, car les catégories pauvres vivent de pain, de l’huile subventionnée (900 millimes), des pâtes à base de farine subventionnée… Il faut que cette subvention puisse vraiment profiter aux catégories qui en ont le plus besoin.  La subvention a atteint 1.650 milliards pour les produits de consommation. 18% seulement profitent aux catégories défavorisées. Prenons, à titre d’exemple, le cas de l’huile subventionnée. Elle est utilisée par les pâtisseries, les restaurants… Par ailleurs, la semoule, la farine le sucre, l’huile…tous ces produits subventionnés font l’objet de trafic et de spéculation. Il faut que le gouvernement fasse en sorte que ces produits aillent directement aux catégories qui en ont le plus besoin. Je voudrais revenir sur un autre exemple, celui du pain. Chacun de nous a remarqué qu’on ne nous rend pas les 10 millimes chaque fois qu’on achète notre baguette.  Ces dix millimes rapportent 12 milliards par an à leurs bénéficiaires. Si l’Etat pourrait les récupérer et les utiliser pour développer des projets dans les régions… Mais aucun gouvernement n’a osé jusqu’ici  prendre cette décision de récupérer ces dix millimes au motif qu’ils correspondent au coût du sachet dans lequel le pain est servi.

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